Cet article constitue une introduction sur un changement que je suis en train d’opérer dans mon outillage informatique, dans le cadre d’une pratique de designer. Je m’intéresse depuis plusieurs années, et de façon croissante, à l’environnement Linux, en me demandant si oui ou non cet environnement pourrait constituer un environnement de travail complet, qu’il soit professionnel (design, développement) ou personnel (musique principalement).

Plusieurs aspects m’ont poussé à tenter ce changement d’outillage. Le premier c’est donc l’intérêt pour Linux mais, surtout, en creux, la suspicion vis à vis des machines Apple. Pour commencer, ces machines sont chères. Cela se justifie par des points qui, au fil du temps, m’ont semblé relativement périphériques. Un trackpad agréable à utiliser, un écran à 220 dpi ne justifiaient plus, pour moi, de mettre autant d’argent dans une machine. D’autant que, pour ce dernier aspect, l’augmentation des résolutions aura pour effet, à terme, d’encombrer les câbles de l’internet mondial pour y faire passer de l’image ou de la vidéo à haute résolution. Cette course a l’armement n’est pas soutenable.

Depuis mon dernier achat ― 2014, quelque chose comme ça ― les prix ont d’ailleurs sérieusement augmenté (2800 euros pour un 15 pouces), pour voir les machines désormais munies d’une barre de fonctions tactiles et amputées de ports USB, HDMI (encore des adaptateurs à acheter), après avoir vu disparaître les ports Ethernet. Bref, ça me parait être du délire. Le problème de l’Apple Store qui gère les accès aux applications et y régule la proposition de software m’a paru, pour finir, bien envahissant (pour ne pas dire plus).

L’autre point, c’est celui de retrouver une forme d’inconfort, d’écart par rapport aux habitudes. De travailler l’altérité, comme l’écrit Anthony Masure dans sa thèse sur le design des programmes, à savoir trouver une façon de travailler qui puisse permettre de proposer ce que l’on attend d’un designer, à savoir une proposition, une innovation.

Interroger son environnement est en effet la condition nécessaire pour pouvoir créer dans l’écart 1

On pourra opposer que changer d’environnement et y retrouver de nouvelles petites habitudes ne change pas grand chose au problème, et ne fait que le repousser temporairement. Sauf si on pense que la philosophie Unix (des choses simples mais solides), ou KISS ou ce qu’on veut, et une connaissance de cet archipel du logiciel libre nous sera plus utile dans notre pratique qu’un soft mastodonte qui nous incite fortement à rester à l’intérieur.

Comme souvent, il y a des questions de fond qui mûrissent parfois pendant des mois ou des années, et puis il y a un élément déclencheur. Comme Richard Stallman pour qui les choses on basculé au moment où il a voulu obtenir le code source d’une imprimante afin de la réparer, et qu’on n’a pas voulu lui fournir, je me suis également heurté à l’impossibilité de jouir de quelque chose que je pensais avoir à ma disposition. J’ai acheté, avec Ableton Live, un logiciel de production musicale, un jeu de sons de batterie, SessionDrums, qui pouvaient être utilisés dans un séquenceur interne à Live, Drumkit. Lorsque j’ai voulu changer de soft, je me suis dit que j’allais pouvoir emmener avec moi ces sons de batterie que j’avais achetés. Bien sûr, SessIonDrums était regroupé dans un conteneur qui permettait leur exploitation par Live/Drumkit. Dans ce conteneur étaient malgré tout disponibles tous les fichiers des sons de batterie, au format .aif. Mais j’ai découvert à ce moment-là que ces fichiers étaient cryptés pour ne pouvoir être utilisés que par Live et Drumkit. J’étais donc coincé : si je voulais utiliser ces sons de batterie, je ne pouvais le faire qu’avec Live.

Au delà du fait de ne pouvoir jouir de matériel dont je pensais être propriétaire, le fait que l’outil garde captifs les utilisateurs m’a frappé. J’ai pensé à mes disques durs remplis de productions encore captives dans des sources que je ne pourrais peut-être plus ouvrir, faute de posséder le soft idoine.

Là, la réflexion autour du libre était devenu plus concrète, et il me semblait temps de tenter l’expérience de modifier complètement mon outillage, afin de ne plus être tributaire de formats fermés.

1 Anthony Masure, Le design des programmes. Des façons de faire du numérique. 2014 http://www.softphd.com/these/introduction/desordre